«Le Maroc a intérêt à capitaliser sur ses institutions. Et se réformer, dans l’urgence»

J'ai eu un (long) entretien avec une amie journaliste installée au Brésil sur ce qui se passe dans notre région. Il sera publié en portugais sur l'un des premiers sites  brésiliens d'information internationale et qui a une tendance progressiste affichée.

Elle l'a aussi publié en français sur son blog sur le site Mediapart

J'ai intégré la totalité de l'entretien dans ce post afin de faciliter les commentaires et leur suivi. Il est aussi consultable à l'adresse suivante:

http://blogs.mediapart.fr/blog/lamia-oualalou/150211/le-maroc-interet-capitaliser-sur-ses-institutions-et-se-reformer-dan

 Cet entretien ayant été réalisé les 13 et14 février 2011, les informations sur la manifestation du 20 février doivent être réactualisées. Je les laisse telles que je les voyais à l'époque. Elles donnent une preuve supplémentaire de notre difficulté (ou du moins la mienne) à appréhender ce qui se passe autour de nous tellement ça va vite et peut être aussi par ce que notre référentiel d'analyse a besoin d'une sérieuse mise à jour (ou du moins le mien)!


«Le Maroc a intérêt à capitaliser sur ses institutions. Et se réformer, dans l’urgence»

La soif de dignité. Plus que le prix des aliments, c’est ce qui a, cette fois-ci, provoqué l’inimaginable, en Tunisie, puis en Egypte. Puis… qui sait où ? Comme dans la chanson, qui est devenue un des hymnes de la révolution égyptienne.(clip  ci-joint en youtube) Même si les têtes ne tomberont pas nécessairement partout, le monde arabe ne sera plus jamais comme avant après les révolutions de Tunis et du Caire. Ça remplit d’espérance, et de peur de louper le train de l’histoire. On est loin de Rio, et même si la presse a dédié ses unes régulièrement aux chutes de Ben Ali et Moubarak, l’information reste pauvre. J’ai voulu en savoir plus, sur le monde arabe et le pays dont je viens, le Maroc. J’ai longuement interrogé un député, Khalid Hariry. Il est membre de l’USFP (Union Socialiste des Forces Populaires, parti de gauche partiellement allié au gouvernement), et fait partie de ces politiques sur lesquels on voudrait investir, tant ils ont intégré l’histoire du pays, ses spécificités, sans que cela rime nécessairement avec compromission. Voilà sa vision, à partir du Maroc, des bouleversements du monde arabe, du rôle des islamistes, et des chances de la gauche.




Comment est perçu, depuis le Maroc, ce qui s’est passé en Tunisie, puis en Egypte ?
Il y a d’abord une très forte dimension psychologique, un sentiment de fierté et beaucoup d’émotion. Des peuples arabes, des pays arabes ont enfin réussi un combat ! Et quel combat ! Pendant des décennies, on a enchaîné les échecs.  On a fini par les considérer comme une fatalité. Puis, en moins d’un mois, deux événements majeurs, coup sur coup, rendent tous les espoirs possibles.
Il y a aussi des inquiétudes : vont-ils réussir la transition démocratique? Dans quels délais ? A quel coût ? N’oublions pas qu’en en Egypte, c’est l’armée qui est au pouvoir aujourd’hui. Il y a enfin des questionnements. Quels autres pays vont suivre ? Et le Maroc ? Sommes nous comparables ? Risque-t-on, nous aussi un soulèvement ?...

Vous attendiez-vous personnellement à ce que l’histoire s’accélère si vite ?
A ma connaissance, personne au Maroc, n’a rien vu venir. Moi y compris, bien sûr. Ceux qui ont séjourné en Tunisie ou en Egypte récemment, sentaient que la situation ne pouvait pas durer en l’état, et qu’il fallait que cela change. Mais on était loin d’imaginer que cela pouvait aller aussi vite et aussi haut.

Quelle a été l’attitude de la société civile et des partis ?
Au Maroc, il y a une certaine gêne chez les partis politiques. Certains ont clairement soutenu la volonté de changement démocratique dès le départ. Il s’agit surtout de partis de l’opposition (gauche et islamistes). D’autres sous la pression de leurs militants ont manifesté leur soutien, bien que tardivement et de manière plutôt timide (gauche majorité). D’autres enfin ont attendu la position officielle du Maroc avant de s’exprimer (droite opposition et majorité). Ce flottement est du d’abord à l’effet de surprise, mais il reflète aussi le degré d’autonomie de chaque parti par rapport au pouvoir exécutif.
Au niveau de la société civile, des organisations (en faveur des droits de l’homme, anti-globalisation) proches de la gauche radicale se sont exprimées depuis le début et ont manifesté notamment après le départ de Moubarak. Certains responsables des deux principaux mouvements islamistes ont aussi participé à ces manifestations. Enfin, il ne faut pas oublier une certaine effervescence qui a parcouru les activistes sur le net au Maroc et dont on ne mesure pas encore très bien l’impact réel.

De l’extérieur, on a l'impression que le Maroc est plutôt calme et stable et devrait échapper à la tourmente qui menace les régimes arabes en place depuis la décolonisation. Qu’en est-il ? Est-ce le calme avant la tempête ?
Nous être très modestes en ce qui concerne nos capacités de prévision. La crise économique de 2008 et les événements de Tunisie et d’Egypte sont là pour nous le rappeler. Mon sentiment personnel, cependant, est que le Maroc ne devrait pas connaître des événements de l’ampleur de ceux qu’ont vécues la Tunisie et l’Egypte.
Nous continuerons à avoir des manifestations sociales, plus ou moins importantes, avec des demandes spécifiques. Le Maroc en a connues et continuera à en connaître tant que les problèmes à leur origine persisteront : sit-in de demandeurs d’emplois devant le Parlement, grèves dans des secteurs professionnels, marches des populations de certaines régions pour protester contre leur marginalisation, manifestations de défenseurs des droits de l’homme contre des décisions de justice… manifestations contre la corruption dans certains organisme, manifestations contre la vie chère… On continuera aussi à avoir des manifestations réclamant des réformes constitutionnelles et politiques, plus de liberté d’expression, plus de respect des droits de l’homme…

L’explication communément admise de « l’exception marocaine » serait la monarchie basée sur une légitimation religieuse et une plus grande ouverture démocratique, incluant notamment une partie des islamistes dans le champ politique. Qu’en pensez-vous ?
La légitimation religieuse est importante mais ce n’est pas la seule. Il y a  aussi une légitimité historique et constitutionnelle. Mais la plus importante à mon avis c’est la légitimité populaire. Les opinions remettant en cause le système monarchique sont extrêmement minoritaires dans la société marocaine.
Un point cependant sur la légitimité religieuse. On a tendance en Occident à voir cela plutôt sous un aspect négatif. Au Maroc, ce n’est pas le cas. Tout au mois pas toujours. Deux exemples. La légitimité a été mise en avant par le roi pour faire aboutir l’une des réformes les plus progressistes que le Maroc a connues ces dernières années : la réforme du Code de la famille et par là même le statut de la femme. C’est en tant que « Commandeur des Croyants » qu’il présenté et justifié devant le Parlement les principales mesures de cette réforme dont certaines étaient très en avance par rapport à la société marocaine. Ces mêmes mesures, présentées quelques années plus tôt par le gouvernement, sans la couverture religieuse avaient provoqué une immense levée de boucliers au sein de la société marocaine et notamment de ses franges les plus conservatrices. Cette même légitimité religieuse a été utilisée encore pour soutenir l’interdiction de l’utilisation de la religion dans l’activité politique partisane lors de l’élaboration de la loi  sur les partis politiques. Ce qui est une mesure plutôt progressiste.

Qu'est ce qui différencie le Maroc de la Tunisie et de l'Egypte et qu'est-ce qui le rend semblable à ses voisins d'Afrique du Nord ?
La contestation en Tunisie et en Egypte s’est focalisée sur le rejet du chef de l’Etat comme symbole de toutes les frustrations. Ce n’est pas le cas au Maroc.
Autre différence importante, une certaine ouverture démocratique mais surtout, l’existence de réelles institutions d’intermédiation entre les citoyens et le pouvoir exécutif : partis, parlement, syndicats, ong, médias… Ces institutions, avec tous leur défauts et leur limites représentent une espace de liberté et d’expression qui est beaucoup plus vivant et crédible que ce qui existait en Tunisie et en Egypte.
Cependant il faut tirer un signal d’alarme. La dynamique et la crédibilité d’un grand nombre de ces institutions est en net recul ces dernières années. Les partis ne se renouvellent pas. Leurs leaders, leurs idées et leurs programmes sont en décalage par rapport aux besoins de la société et notamment des jeunes. Les alliances politiques n’obéissent plus à une logique compréhensible par les électeurs. Les tendances hégémoniques du PAM (Parti Authenticité et Modernité, créé en 2009 par des proches du roi Mohammed VI)  investissent le champ politique et, vu sa particularité, font craindre pour l’avenir du processus de démocratisation du pays. Le Parlement a du mal à s’imposer en garde fou et outil de contrôle de l’exécutif par manque de moyens (législatifs, humains et financiers) mais aussi par manque de volonté politique.

Quid de la liberté d’expression ?
L’espace de liberté d’expression que constituaient les médias s’est réduit. Autocensure, excès, intérêts financiers et poursuites judiciaires, ont contribué à cette réduction. Les médias publics et notamment la télévision contribuent fortement à cette perte de crédibilité et à ce recul. Ils offrent peu d’espaces de débat politique et assurent une couverture sélective et souvent biaisée de l’actualité, poussant les marocains à faire appel à d’autres sources pour s’informer : internet, chaînes satellitaires…
Ce qui rend le Maroc semblable à ses voisins est surtout économique et social. Pauvreté et énormes disparités dans la distribution des richesses. Chômage des jeunes, et notamment ceux ayant reçu une éducation secondaire et supérieure inadaptée aux besoins de l’économie marocaine. Dégradation de certains services publics affectant surtout les classes pauvres et moyennes : éducation, santé, transports publics…  Gouvernance économique défaillante et corruption avec notamment la persistance et le renforcement de systèmes de rentes économiques, à la limite de la prédation, qui découragent l’investissement productif et créateur d’emploi. Les points de ressemblance sont malheureusement nombreux. Ils appellent une action urgente.

Vous attendez-vous à des mesures supplémentaires d’ouverture du pouvoir, et de quel type ?
Parallèlement aux mesures économiques et sociales, les mesures touchant aux réformes politiques sont essentielles. On peut les résumer en deux grandes idées. Renforcement du rôle des institutions (parlement, gouvernement,  justice,) et crédibilisation du processus de formation de ces mêmes institutions (élections, partis…). Ceci nécessitera des réformes constitutionnelles, mais aussi et surtout des réformes politiques touchant à la fois les textes et les pratiques.
L’USFP a proposé un certain nombre de réformes constitutionnelles et politiques. D’autres partis aussi. La question est comment les faire aboutir ?
La méthode qui a le plus de chance de succès dans le contexte marocain semble être le consensus entre les différentes parties prenantes. J’espère que les événements récents provoqueront une prise de conscience à tous les niveaux, sur la nécessité d’accélérer le processus.

A vos yeux, les principales raisons du soulèvement dans les pays arabes sont-elles politiques ou économiques et sociales ? Cette vague de protestation qui parcourt le monde arabe est-elle différente des mouvements qu'on a connus dans le passé ?
Je ne sais pas si la soif de dignité est à classer dans le politique, l’économique ou le social ? Mais il me semble que c’est le principal moteur des soulèvements. Il y a une limite à ce qu’un citoyen peut accepter comme vexations politiques, économiques ou sociales. Cette limite a été dépassée en Tunisie et en Egypte. Il est d’ailleurs significatif que la chanson « Voix de la liberté » soit devenue en quelques heures l’hymne du soulèvement égyptien.
En voici un  extrait :
« Nous avons relevé la tête
Vers le ciel
La faim ne nous importe plus
Le plus important c’est nos droits
Et écrire notre histoire
Avec notre sang »
Ces frustrations ont provoqué, dans le passé des explosions sociales ou politiques. La différence cette fois-ci, c’est qu’elles ont pu être canalisées et coordonnées par une nouvelle génération de militants et d’activistes. Jeunes, en dehors des partis traditionnels, maîtrisant les techniques de communication et d’activisme en ligne, et supportés par des médias non traditionnels (facebook, aljazeera)

Une poignée de jeunes a lancé une convocation sur Facebook, pour protester le 20 février dans les principales villes du pays, qu’en attendez-vous ?
J’ai discuté avec beaucoup d’amis très actifs depuis longue date sur les réseaux sociaux. L’initiative ne semble pas y jouir d’un grand support pour l’instant. Cependant le mouvement semble s'accélerer, et vu l'effet amplificateur des réseaux sociaux, il ne serait pas surprenant que la manifestation soit un événement important. L’USFP, comme la quasi-totalité des partis politiques ont une attitude plutôt neutre à ce sujet. Il ne la soutient pas, il ne la condamne pas non plus, et n'appelle pas à manifester.
Ceci étant, la liberté de manifester existe, bien qu’elle ne soit pas toujours respectée. J’espère que les autorités marocaines sauront gérer ce dossier intelligemment, en laissant la manifestation se dérouler en toute liberté.

Les structures politiques anciennes, telles le « Makhzen » (élite entourant le roi), sont-elles remises en question ?
Ces structures anciennes ont beaucoup évolué avec l’évolution de l’Etat marocain depuis l’indépendance. Elles ont aussi modernisé leur fonctionnement et les formes qu’elles prennent. Il y a régulièrement des remises en question de ces institutions, bien que parfois de manière opportuniste.  La question à mon sens est comment élargir le  contrôle exercé par les institutions élues pour qu’il puisse couvrir un maximum d’institutions et de structures de l’Etat ? Par exemple, dans la nomination de leur responsables, dans le contrôle de leur fonctionnement…
Deux thèses s’affrontent à cet égard. La première dit que si ces institutions fonctionnent en marge du système politique « issu des élections » (parlement, gouvernement…), c’est par ce que les partis politiques n’arrivent pas renouveler leurs élites et attirer en leur sein des compétences capables de superviser politiquement ces institutions ou d’y assumer des responsabilités. Pour le bon fonctionnement de l’Etat, ces institutions doivent donc rester en marge du champ politique. Ceci est en partie vrai.

Du côté des partis politiques on avance que si les partis n’arrivent pas attirer ce type de compétences c’est justement par ce que les perspectives d’évolution, notamment dans des secteurs ou des institutions clés, sont verrouillées. Ce serait un moyen de signifier, aux gens compétents et ambitieux, qui veulent participer au développement du pays, qu’il vaut mieux choisir d’autres circuits, hors partis politiques pour accéder à des postes de responsabilité. Ce qui est aussi vrai.
Ce débat apparaît régulièrement sur la scène sans que nous ayons réussi à sortir de ce cercle vicieux.

La très forte abstention aux dernières élections législatives montre que les partis n’apparaissent pas comme une solution à la population. Faut-il profiter de ce qu’il se passe dans la région pour redynamiser la vie politique marocaine ?
Il y a des raisons objectives au niveau d’abstention élevé. L’électeur de manière très rationnelle se pose la question sur l’utilité et la finalité de son vote. Le parlement et le gouvernement qui en sont issus ont des prérogatives limitées A mon avis, plus par la pratique que par les textes (constitution, loi organiques…). Le système électoral encourage la dispersion et ne permet pas l’émergence d’une majorité cohérente. Les alliances pour former une majorité sont souvent contre nature.
De plus, lors des deux dernières élections, les capacités financières propres des candidats sont devenues un élément décisif, excluant ainsi de nombreux candidats compétents mais aux ressources financières limitées. Si vous rajoutez à cela ce que j’ai dit sur les partis politiques, vous avez une grande partie de l’explication du phénomène.
Les événements récents ont montré que le Maroc a intérêt  à capitaliser rapidement sur son existant en terme d’institutions. Les réformes politiques et constitutionnelles sont un moyen pour le faire.

Pour la première fois, la justification agitée par les pouvoirs autoritaires – « nous sommes peu démocratiques, mais nous sommes le seul rempart par rapport aux islamistes » – semble ne plus tenir. Diriez-vous que  l'épouvantail islamiste n’existe plus?
Les situations diffèrent selon les pays. Au Maroc une partie importante du mouvement islamiste, le PJD (Parti Justice et développement), a intégré la scène politique depuis presque vingt ans. Il dirige aujourd’hui certaines villes, et a représenté la deuxième force politique au parlement à l’issue des dernières élections de 2007. Ses représentants ont beaucoup évolué et pour beaucoup d’acteurs politiques, ils sont devenus des adversaires politiques (ou des alliés) comme les autres. Un peu particuliers, certes, mais ils ne sont plus infréquentables.
Une  autre partie refuse toujours de reconnaître le système politique marocain et en conteste les fondements : constitution, attributions de la monarchie,  processus démocratique... Son activité est tolérée mais la méfiance reste de mise.

Certains envisagent qu’en cas de mise en place de mécanismes plus démocratiques, l’islam puisse apparaître comme un référentiel, un élément fédérateur. Qu’en pensez-vous ?
L’islam en tant que religion et en tant que référence sociale et culturelle reste très présent dans la société marocaine. C’est la religion de l’Etat selon la constitution. Cependant, l’écrasante majorité des lois qui régissent le fonctionnement de la société marocaine n’ont pas de référence religieuse. Une exception notable reste le code de la famille.
Je ne pense pas qu’en cas de mise en place de mécanismes plus démocratiques, on assiste à une déferlante islamiste. Les partis non islamistes continueront à mon avis de représenter la majorité du champ politique. A condition cependant qu’il se réforment rapidement et profondément.

Les forces laïques ont-elles une chance de s’organiser et de proposer une alternative ?
Oui, certainement. Ces forces et notamment les partis politiques, ont une réelle présence et un enracinement dans la société. Ils n’aiment pas qu’on les appelle laïcs étant donnée la consonance négative de ce terme dans de larges franges de la société marocaine. Ils ont beaucoup perdu de leur crédibilité cette dernière décennie, mais il n’y a rien d’irrécupérable. A condition de le vouloir et vite. Et surtout de se donner les moyens pour y parvenir.

Comment jugez-vous l'attitude des pays occidentaux, et notamment de la France et des Etats Unis face à la révolution tunisienne, égyptienne et à l'ensemble du monde arabe ?
C’est une attitude opportuniste. Les pays occidentaux se sont beaucoup décrédibilisés dans leur gestion des deux soulèvements. Particulièrement la France dans le cas de la Tunisie et les Etats-Unis dans le cas de l’Egypte. Il est clairement apparu aux opinions publiques que les intérêts propres de ces pays primaient sur toutes les déclarations de principe sur la démocratie, la liberté et les droits de l’homme. Seuls semblaient importants le risque de montée au pouvoir des islamistes en Tunisie. En Egypte, en plus du risque islamiste, c’est surtout la sécurité d’Israël qui est mis en avant. Les aspirations des deux peuples à plus de dignité, de liberté, de démocratie, de respect des droits de l’homme sont passés au second plan.
Une remise en cause des politiques des pays occidentaux envers les pays arabes s’impose. De même, les pays arabes doivent rééquilibrer leurs relations politiques et économiques extérieures avec notamment une orientation plus forte vers les pays émergents.

Dans le cas du Maroc, craignez-vous que la gauche, qui avait accepté une alternance limitée sous Hassan II, paye aujourd’hui cet accord en apparaissant sans grande crédibilité aux yeux de la population ?
Ce n’est pas tellement l’acceptation par la gauche d’une alternance limitée qui l’a décrédibilisée. C’est la façon dont elle a géré et dont elle continue de gérer cette alternance qui, à mon avis,  pose problème. Nous avons manqué d’ambition. Nous n’avons pas su saisir les réelles possibilités d’extension du champ démocratique et des libertés qui existaient au début des années 2000. Nous n’avons pas réussi à mener à bien certaines réformes essentielles comme l’éducation et la justice. Et surtout nous n’avons pas su communiquer sur les succès : assainissement des finances publiques, assurance maladie, infrastructures rurales, eau, électricité, routes…
Aujourd’hui, regagner la confiance de la population est possible et même nécessaire. Pour cela il faut des idées nouvelles, des méthodes d’action et de militantisme différentes. Tout cela porté par une génération d’hommes et de femmes politiques qui ne sont pas associés par les marocains au lourd passif de cette dernière décennie, en phase avec la société marocaine, et avec les évolutions qui les entourent

Quelle est, selon vous, la perception des élites au Maroc. Eduquées, modernes, sont-elles ravies de ce qui se passe chez les voisins, ou ont-elles peur de basculer dans l’inconnu en adoptant un système véritablement démocratique ?
Les élites ne sont pas homogènes. Il y a chez beaucoup d’entre elles, un sentiment de fierté de ce que les Tunisiens et les Egyptiens ont accompli. Mais il y aussi des inquiétudes. Inquiétudes d’une démocratisation totale qui amènerait des islamistes, en force, au gouvernement : quel serait l’impact sur la société marocaine, sur son ouverture, sur sa tolérance, sur le statut de la femme… ? Inquiétude aussi sur la possibilité que les puissances de l’argent, nationales ou locales, dévoient complètement le système démocratique à leur profit.
Inquiétude enfin chez une certaine élite sur ses privilèges économiques et sociaux dans le cas ou la démocratisation amènerait une meilleure redistribution des richesses, qui pourrait se faire à leur dépends.

1 commentaire:

JMExperience a dit…

Les socialistes n'ont pas installé l'assurance maladie. Ils ont fait voté la loi, sans plus. Ils n'ont pas eu le courage d'aller jusqu'au bout de leur logique.
Ils n'ont pas non plus réformé le secteur financier, ni les finances publiques. Soutenir le contraire, c'est corrompre l'histoire.
Quand au mouvement du 20 février, il est d'abord la résultante de l'incapacité des partis politiques de mettre en place des mécanismes de bonne gouvernance. Ce sont les partis politiques qui ont géré les secteurs des finances, de la santé, de l'éducation, l'industrie et le commerce, l'emploi.... aucun résultat palpable sur la population. Et à cela s'ajoute la gestion catastrophique des collectivités locales...
L'USFP, particulièrement, a une grande responsabilité dans la dégradation de la scène politique car, en acceptant l'alternance dans le cadre de la constitution réformée en 92, il a cautionné un type de gouvernance qui a démontré ses limites.

Khalid Tritki